Pourquoi la France fait-elle en partie l’impasse sur les championnats du monde sur plage ?
Neuf appels à projets lancés en mars pour l’encadrement des équipes de France et seulement cinq catégories engagées pour les WBUC (World beach ultimate Championnships) annoncés en avril à Los Angeles. Les joueurs de haut niveau ont-ils disparu ? La Fédération française d’ultimate fait-elle la fine bouche ? Tentative de décryptage.
Après deux années d’annulations et de reports, la Fédération mondiale (WFDF) annonçait enfin au printemps le retour des compétitions internationales en 2022. Premier rendez-vous : les WBUC, championnats du monde sur plage, suite au succès de ceux organisés à Dubaï en 2015, puis Royan en 2017. Au programme en avril 2022, aux Etats-Unis : huit jours de compétition et quelque 120 équipes attendues… Après ces longs mois d’arrêt, on pouvait s’attendre à une euphorie du côté de la communauté de l’ultimate français. Et pourtant, si les anciens - masters féminines, mixtes, grand masters open et great grand masters - sont bien représentés, il n’y aura pas d’équipe de France dans les catégories phares, les seniors masculins et féminines. Pas non plus d’équipe dans la catégorie au-dessus, les masters open ou les grands masters mixtes (pour cette dernière ça aurait été une première). Et il s’en est fallu de peu pour qu’il n’y ait pas non plus de seniors mixtes…
Pourquoi un tel vide ? Principalement par une cruelle absence de candidatures pour l’encadrement. Aucune en féminine. Côté open Jean-Sébastien Guillou, qui a déjà été coach en équipe de France, était prêt à rempiler, mais à condition de jouer, ce qui était exclu par l’appel à projets de la Fédération. Et Quentin Dupré La Tour a bien tenté lui aussi de proposer à plusieurs reprises un projet master open. Mais il lui manquait, aux yeux de la Fédération française, un coach expérimenté. Pour aligner quand même au moins une équipe senior, il a donc fallu convaincre un salarié de la Fédération française, Raphaël Mathé, chargé de développement, plutôt spécialisé dans le développement du sport auprès des jeunes, associé à un encadrant reconnu, Cédric Trestard, pour constituer in extremis un projet d’équipe senior mixte. Celle-ci devrait sans surprise miser sur un équilibre entre ancienne et toute jeune générations. Résultats : pour tous les athlètes hommes de moins de 40 ans et femmes de moins de 30 ans qui ont réussi à se maintenir en forme durant la crise sanitaire, il faudra se battre pour quelques places en division mixte, peu nombreuses du fait du format 5 contre 5 de la plage.
Finances, calendrier, covid…
Les causes d’un tel échec semblent multiples. D’abord, la question financière. Dans un sport qui reste totalement amateur en France, c’est un véritable frein. A la fois pour les joueurs, qui doivent assumer tous les frais et pour la FFFD, la Fédération française. Celle-ci est échaudée par le championnat du monde junior à Malmö en Suède et le championnat du monde aux Pays-Bas à Leeuwarden prévus en 2020 pour lesquelles les fonds n’ont pas été sécurisés. La FFFD a donc pris à son compte les sommes déjà engagées par les joueurs, créant un trou dans la caisse.
Le calendrier n’est pas non plus favorable aux Européens. Le championnat du monde sur plage est prévu en avril, suivi par les World Games (les Jeux mondiaux) mi-juillet et le Championnat du monde des clubs fin juillet. Tous trois très rapprochés et aux Etats-Unis, nécessitent un fort investissement en temps et en argent pour les joueurs (l’enveloppe est estimée à plus de 2000 euros par joueur et par compétition).
Et puis, on ne peut l’oublier, le covid est passé par là… Réduisant de 30% le nombre de licenciés en France. Certains joueurs ont préféré s’orienter vers une discipline plus individuelle, d’autres ont été touchés par la maladie, que ce soit moralement, financièrement ou même physiquement, à l’image d’une joueuse qui ne sait si elle pourra reprendre un jour son sport favori…
Il a donc fallu faire des choix et c’est sur les World Games que la Fédération a décidé de concentrer ses efforts. Un évènement historique pour l’ultimate, l’anti-chambre des Jeux olympiques. L’Etat français devrait prendre en charge la moitié des coûts de déplacement jusqu’à Birmingham, en Alabama. Et la Fédération française aidera elle aussi les la quinzaine de sélectionnés de cette équipe mixte. Constituant officiellement une délégation française, les heureux élus porteront l’équipement France olympique pour les cérémonies officielles et un éventuel podium. Quant aux principaux clubs pourvoyeurs de joueurs de haut niveau, ils sont forcément mobilisés pour le Championnat du monde des clubs à nouveau prévu à Cincinnati dans l’Ohio, comme en 2018.
En ce qui concerne le rejet des deux candidatures en open et master open, il est dû à un changement de paradigme au sein de la Fédération française dans sa vision du haut niveau. Depuis des mois, celle-ci se bat pour être reconnue par les instances sportives nationales : le Ministère des sports, l’Agence nationale du sport (ANS) et le Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Un nouveau règlement des équipes nationales a été élaboré et une Direction technique nationale et sportive (DTNS), collégiale, créée. Une restructuration complète des instances nationales afin de coller aux schémas des autres fédérations sportives. Des efforts qui payent car l’ultimate vient tout juste de gravir le premier échelon de la reconnaissance comme sport de haut niveau et la Fédération a également désormais un droit de vote au CNOSF. Revers de la médaille, l’ultimate français est désormais observé et ne peut plus se présenter à des compétitions internationales en dilettante. Impossible pour eux d’accepter un entraîneur-joueur en sénior ou de ne pas avoir un coach expérimenté en master.
Deux visions qui s’affrontent
« Si ce staff n’est pas le plus connu au haut niveau, concédait le document projet des masters open, il possède trois profils identiques : entraîneurs (diplômés, ndlr), présidents, fondateurs et joueurs issus d’autres sports ». Alors que l’appel à projets estimait que « de solides références en ultimate sont indispensables ». La décision de ne pas valider ce projet a provoqué des débats enflammés sur la page Facebook « Ultimate frisbee France » ces derniers jours. Quentin Dupré La Tour avoue être « dégoûté » et témoigne : « ce qui me frustre le plus dans le refus, c’est qu’il n’y a personne d’autre et qu’on prive 15 joueurs d’un championnat du monde ». D’autres mettent en avant le fait que cela ne coûte rien à la FFFD et que « certains joueurs pourraient beaucoup apprendre » de cette expérience. Ils s’inquiètent aussi de l’image d’un pays qui n’aurait pas un réservoir de joueurs suffisant pour participer à toutes les compétitions importantes. Polémique qui a enflé jusqu’à cette tribune « On nous vole nos rêves » d’un joueur de 36 ans de l’ancien club de Calais (qui a préféré rester anonyme pour se laisser des chances d’être sélectionné à l’avenir), publiée sur focusultimate.com le 1er août : « Qui a dit que les équipes de France devaient toujours performer et toujours avec les mêmes joueurs ? […] Nous ne sommes plus que 3 000 licenciés, quelle folie de vouloir se prendre pour ce qu’on n’est pas et placer notre niveau d’exigence si haut qu’on refuse les seuls volontaires que l’on ait ! »
Certains clubs aimeraient voir la Fédération jouer un plus grand rôle dans la formation et se plaignent de l’absence de ces stages d’équipe de France, qu’ils identifiaient comme l’occasion pour leurs adhérents d’acquérir de l’expérience. Une vision totalement opposée à celle de la Fédération, qui souhaite les réserver à une élite dans l’objectif de constituer des équipes nationales performantes. Au vu du très grand nombre de catégories, le pourcentage de joueurs en équipe de France, des juniors aux masters, en comptant le disc-golf, est déjà très important rapporté au nombre de licenciés. Jusqu’à présent, les équipes de France se constituaient sur un coup de fil et étaient validées par une poignée de dirigeants. Maintenant elles passent par un appel à projets officiel et une évaluation collégiale. Il a été lancé par mail aux clubs fin mars, avec une relance le 22 avril face au manque de candidats : « Il est important de rappeler que les enjeux sont importants, tant au niveau institutionnel que sportif ; En effet, le maintien de la délégation pour la discipline beach ultimate ainsi que les actions portées par la fédération dans le cadre de la reconnaissance de haut niveau (RHN) sont intimement liées à la participation sportive de nos équipes séniors sur ce type d’évènement. De plus, au niveau sportif, cet évènement est qualificatif pour les prochains world beach games et compte bien entendu pour le ranking mondial (actuellement la France est classée en sixième position). » L’information a-t-elle suffisamment circulé dans les clubs ? Il faut dire que les élus de la Fédération et les joueurs se sont peu croisés depuis 18 mois et le travail habituel de terrain à la rencontre des futures élites n’a pu être fourni.
Ce que l’on sait, c’est que c’est devenu un véritable casse-tête pour les instances fédérales qui ont dû faire leurs calculs, peser dans la balance les bénéfices et les risques entre n’envoyer aucune équipe et obtenir un mauvais résultat. Sachant que la France sera présente pour les World Games et en compétitions juniors, elle va déjà marquer des points. Et en cette année de pandémie, l’absence est facile à justifier. La FFFD n’est pas la seule fédération fragilisée, les autres sports rencontrent les mêmes difficultés. Une défection devrait donc passer plus facilement incognito qu’un mauvais résultat. Et même si le risque existe de perdre quelques places au classement mondial, celui-ci n'a pour l'instant jamais compté pour la participation à une compétition.
Un déficit de communication ?
Reste que cette polémique va laisser des traces. Les bénévoles de la Fédération se sont sentis personnellement visés et pris au piège par une attaque masquée. Elle a provoqué un véritable branle-bas de combat au cœur de la traditionnelle léthargie estivale, et des mails en cascade. C’est surtout sur ses difficultés en communication que la FFFD est pointée du doigt. Un communiqué est donc prévu à la rentrée pour présenter la fonction du collège d’experts de la DTNS, ainsi que le département performance qui a été créé, avec son pôle de préparateurs physiques et mentaux…
Elle a préféré dans l’intervalle se préserver et répondre négativement à notre demande d’interview. Il a toutefois été possible d’arracher ces mots à Fréderic Risse, responsable de la Direction technique nationale et sportive : « Je suis persuadé que c’est maintenant qu’il faut faire la bascule. Si la bascule culturelle n’est pas faite dès maintenant, on ne sera pas prêts le jour où notre discipline sera aux Jeux olympiques. Et ma fonction c’est de préparer tout le monde à ces grands moments qui nous attendent, je l’espère ». Le voilà le rêve du Comité directeur de la Fédération : faire un jour briller le bleu à l’image des autres sports collectifs en ce moment à Tokyo.
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